Mauritanie

Publié le par Pierre-Jean le Camus

Jeudi 12 septembre 2002 : Boujdour - "Dakhla" : 2 h 15 
"Dakhla" - Nouadibhou : 3 h 40

Une perverse brume maritime s'invite. Plus de route, que du désert, peu de visi, autant d'essence à bord que de bonnes sœurs en Afghanistan. Tout va bien… Bientôt une piste apparaît, vaguement représentée sur la carte, qui nous rassure. C'est là que je poserai quand tout à l'heure, bientôt, peut-être à l'instant même, mon moteur manifestera sa famine en cessant toute collaboration. Les minutes passent, longues comme un "zérac". Zérac ? Dans la marine de guerre, c'est ainsi que l'on nomme parfois le quart de garde de 0 à 4 heures du matin, que quand tu l'as assuré une fois, tu comprends tout de suite mieux l'expression ! Mes yeux sont rivés au sol, à scruter la moindre zone posable sur cette piste, qui semble tout de même bien curieuse. Soudain, j'y aperçois une sorte d'immense chenille. Je focalise : mais si, cette chose se déplace ! C'est un train ! Le plus long train du monde (plus de 2 kilomètres), qui transporte le minerai de fer jusqu'au port de Nouadibhou…Notre piste est une voie de chemin de fer, autant dire que tout espoir d'y poser doit être abandonné. L'ambiance, à bord, est au beau fixe, genre matinée de novembre sur les plages normandes. Je tente de me trouver une raison d'être en ressassant l'idée qu'après tout c'est d'aventure que nous avons soif. Enfin, au loin, mais encore vraiment trop loin, apparaît l'ex Port-Etienne, Nouadibhou ! Le salut. Bon, au moins en cas de vache, nous serons à portée de la civilisation. Les autorités marocaines ont refusé de nous indiquer la fréquence radio, il va donc en plus falloir gérer l'intégration au rasoir. Il faudra encore un bon quart d'heure avant d'être en finesse de l'aéroport.

Vague circuit de piste, très attentifs à déceler le moindre trafic, le GTE, devant, décide de poser à côté de la bande asphaltée, plutôt turbulente. Quant à moi, je me pose tout de même sur le dur. Le vent est fort, le roulage jusqu'aux installations fastidieux, sous la protection des pompiers accourus dans un camion flambant neuf. Nos appareils se trouvent ainsi parqués dans leur hangar, à l'abri du vent. Un biturbine attend ses passagers. Les gens, ici, sont noirs. Ils parlent comme on a toujours imaginé que parlent les noirs, ça y est, c'est l'Afrique, la vraie ! Nous venons de parcourir plus de 400 kilomètres en 3 h 40, la plus longue étape du périple. Le temps de me déshabiller, un policier ou quelque chose d'approchant nous prend nos passeports, et un pompier vient m'indiquer que l'on me demande au téléphone ! Ghg ? Moi, au téléphone, ici ? Je prends le combiné, m'annonce :

- "Ici la tour de contrôle, je voudrais vous voir." Stéphane comprend, propose de me suivre. On se fait beau, on époussette les pantalons, on prend la mallette des papiers, on respire un grand coup, et en avant pour le sermon. L'escalier qui mène au tribunal - enfin, à la tour - est de plus en plus étroit et glauque. Pour ne pas dire insalubre. Nous parvenons au sommet, quelque peu essoufflés ; avant de passer la porte, nous prenons l'air contrit du morveux surpris à fumer dans les toilettes. Toc toc "entrez !" Un magnifique noir, dans sa tenue traditionnelle, trône au milieu de l'habituel tableau d'un centre de contrôle, certes quelque peu défraîchi, mais certainement efficace. Un téléphone antédiluvien et crasseux, aussi. 

- "Asseyez-vous" puis rien. Rien pendant quelques minutes, un peu longues. Pour nous donner bonne contenance, nous tournons un regard pénétré et plein de soif d'apprendre vers la carte d'approche plaquée au mur. Soudain, une voix sublime, dans un accent venu de très loin du fond des âges, faisant prodigieusement claquer les "R", se lance avec gravité : 

- "Vous imaginez-vous din quel état je suis ? Je suis là, din ma tour. J'assure le contrôle du trafic aérien de l'Aéroport International de Nouadibhou, c'est une lourde charge, croyez-le bien ! Et là, soudain, qu'est ce que je vois, mais qu'est je vois devin moi, que je n'en crois pas mes zilleux ? Je vois là devin moi deux appareils, des choses, là, des zuilèms, sans contact radio, sans plan de vol, qui se présentent sur Mon Aéroport, et qui se posent, et qui se posent…" il se tourne enfin vers nous, pour lancer avec rage, ouvrant une large bouche sur des dents immensément blanches "…et qui se posent…à côté de la piste ! ! ! Mais ! Je n'ai jamé vu ça ! Jamé ! Jamé ! Jamé, m'entendez-vous ? Jamé !" J'adore l'instant, et le savoure avec délectation. C'est immense, unique, un grand moment de vie. A près de 4000 kilomètres de chez moi, dans un monde totalement inconnu qui est tout sauf le mien, devant un représentant de l'état qui énonce mes lourdes infractions. Peut-être finirons-nous dans quelque cellule immonde, à payer le prix de nos fautes, car nous avons bel et bien fauté…je devrais trembler, supplier, friser l'évanouissement et le malaise. Et pourtant non, je me régale, encore encore, je voudrais que le moment dure !

 

Et il va durer, en effet…Petit à petit, notre ami, oui, c'est déjà mon ami, devient plus conciliant, et laisse la parole à la défense. Bon, pour la fréquence, OK, nous ne l'avions pas, mais "ce sont vos collègues marocains, aussi, qui n'ont pas voulu nous l'indiquer…" irrecevable selon notre homme : "mé, elles se trouvent partout ! -Quel partout ? J'ai fait des kilomètres à pieds, au téléphone, sur Internet depuis huit mois pour préparer ce périple, dans les ambassades, auprès de vos services, à l'IGN, pour finalement trouver une carte aéronautique de votre pays, dépourvue des fréquences, qui date de 1978, au Vieux Campeur…enfin, dans une boutique de matériel de camping, voyez-vous ? Je m'étais bêtement dit que l'on me fournirait les informations en temps et en heure entre gens de bonnes familles. Je n'y suis pour rien, moi, si les relations entre voisins ne sont au beau fixe. - et le plan de vol ?" Et bien voilà, voilà mon argument, car le plan de vol, je l'ai, moi, "il ne vous a semble-t-il pas été transmis, donc vous voyez bien que ce sont pas nous !" Bon, on a marqué un point. Il nous rappelle alors longuement la procédure à suivre en cas de panne radio, qui pourrait s'appliquer ici. Nous prenons un air doctement attentif, en hochant la tête. Je m'éclate de plus en plus ! On lui explique alors que nous avons une grande habitude de circuler autour de plates-formes à très fort trafic en assurant notre sécurité avec nos seuls yeux, et que bien entendu et de toute évidence, ceux-ci étaient largement ouverts pendant notre approche. Nous sommes là depuis déjà près d'une heure, un seul avion est venu se poser, un vieux Pawnee français qu'un baroudeur professionnel convoie vers une deuxième carrière dans quelque pays reculé. "Et la piste ?" On lui expliquera encore que pour notre sécurité etc. Bon ça encore, ça l'a plutôt amusé, il aura un truc à raconter pour ses vieux jours. Notre ami nous libère enfin, nous invitant instamment à nous méfier absolument de ses compatriotes, qui sont des "brigands !" Dans une heure, notre pote nous portera lui-même à l'hôtel. Nouadibhou est une ville étonnante. Aucun accès routier véritable, et pourtant il y a ici une vraie ville, certes aux couleurs locales, mais tout de même. Des rues goudronnées, des autos, de la lumière. On a du mal, une fois dedans, à comprendre que cet espace de vie n'est entouré que d'océan et désert aride. Les plaques d'immatriculation des autos sont exactement identiques aux nôtres, et étonnamment, elles portent ici le suffixe 08. Nos deux sangliers sont tout excités, nous sommes chez eux. On est à Nouadibhou, dans les Ardennes ! Les Ardennes du sud, d'accord. Je nomme cette région "Ardennes mouk." Nous trouvons de la bière dans le restaurant "français" qui nous sert. 

 
Vendredi 13 : Nouadibhou - Iwik : 2 h 40

Après une nuit dans un hôtel très local, nous rejoignons l'aérodrome à pieds. Les sacoches du DTA comportent de fort pratiques poignées, qui nous permettent de les porter à bout de bras après les avoir simplement détachées de leur emplacement. Prochain objectif : Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Je sais depuis que je prépare ce voyage que nous n'avons pas l'autonomie suffisante pour rejoindre cette ville depuis ici. Il nous faut donc pouvoir ravitailler entre les deux. Toutefois, au contraire de ce que nous avons vu jusqu'à ce jour, nous allons nous trouver au dessus d'un vrai désert. Pas de route, tout juste une vague piste, très très peu de villages, encore moins qui connussent l'essence. Je prends conseil auprès de notre ami contrôleur, qui immédiatement me désigne le village d'Iwik. Parfait ! C'est d'autant plus idéal que jusqu'à maintenant c'est le seul village que l'on m'ait conseillé, aussi bien à l'ambassade, que sur Internet de la part de baroudeurs. Hervé Cousquer, pilote français qui vole au Sénégal et qui a déjà survolé cette région, m'a également confirmé cette information. Le contrôleur m'apporte une donnée supplémentaire : il y a même une piste d'aviation à Iwik ! Voilà qui me soulage considérablement, la seule étape inconnue semble se présenter sous les meilleurs auspices. Iwik se trouve en plein cœur du Parc National du Banc d'Arguin (PNBA). C'est une région qui s'étend sur près de 300 kilomètres du nord au sud, qui est très riche en ressources halieutiques. De très nombreuses espèces d'oiseaux plus ou moins rares y trouvent également refuge. Stéphane a pu découvrir sur Internet que son accès par la voie terrestre est réglementé (= il faut payer un droit d'accès). Pour les aviateurs, interdit de descendre en dessous de 1500 fts, ce que me rappelle le contrôleur, néanmoins satisfait de voir que nous ne l'ignorions pas. Il accepte le plan de vol pour Iwik, il nous faudra de là-bas appeler Nouakchott pour clôturer et ouvrir le suivant. Tout est bien bien ce matin, que de nouvelles rassurantes, alors que j'avais comme une angoisse sur cette étape. Après nos adieux, et pendant que les pompiers s'engueulent avec je ne sais qui pour ne nous avoir pas prélevé de "taxe", nous voilà décollés. Face au vent sur une trentaine de kilomètres, le temps de remonter la presqu'île, puis nous suivrons la côte jusqu'à Iwik pendant deux heures quarante. A regarder en dessous, pour le coup c'est de l'Aventure ! C'est une chose que de voler loin. C'en est une autre que d'être au-dessus du désert, à suivre une route sur laquelle passe de temps en temps une auto. Mais naviguer pendant près de trois heures, en n'ayant vu que deux "villages", sans route, sans piste véritable, sans rien d'autre que nous, sur nos petites guêpes, avec nos réserves de quatre litres de flotte, au milieu de cette immensité désolée...ça c'est du flip, du vrai, du pas prédigéré ! Heureusement que nous sommes deux machines, l'une pouvant aller chercher du secours au cas où l'autre viendrait à tomber en panne. Je déconseille de mener cette entreprise seul. En tous cas, je ne le ferais pas…  La visibilité, déjà très moyenne, se dégrade. C'est dommage, car la côte paraît sublime, l'eau prend des couleurs hallucinantes, les oiseaux multicolores se comptent par milliers. Nous rencontrons bientôt un vent de sable. Non pas une tempête, qui réduit la visibilité à deux mètres, juste une sorte de brouillard de particules. Comme du brouillard, mais jaune, qui s'ajoute d'ailleurs à la moite brume côtière. Pas très agréable tout ça. Nous descendons à l'extrême limite inférieure autorisée (1500 fts), qui nous donne une visi horizontale de moins d'un kilomètre par moments. Heureusement la côte n'est pas rectiligne, nous donnant des repères précis, identifiables sur nos cartes. Enfin, voici Iwik ! Pas évident du tout de distinguer la piste, et après trois au quatre passages bas, on nous indique une vague bande, sur laquelle, soulagés, nous posons les roues. 

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